Le premier massif forestier tropical du monde pourrait bientôt dégager plus de CO2 qu'il n'en absorbe...
Un article de JP Langellier paru dans le monde du 05/02/2011.
"La forêt amazonienne pourrait assez vite ne plus jouer son rôle bénéfique de plus grand " poumon vert de la planète ". Telle est l'alarmante prédiction faite par une équipe de climatologues, dirigée par le Britannique Simon Lewis (université de Leeds) et le Brésilien Paulo M. Brando (Institut de recherche environnemental de l'Amazone, IPAM, Belem). Les conclusions de leur étude sont publiées vendredi 4 février dans la revue américaine Science (" The 2010 Amazon Drought ", par Simon Lewis, Paulo M. Brando, Oliver L. Phillips, Geertje M. F. van der Heijden, Daniel Nepstad).
Les auteurs fondent leur pronostic sur un constat : les vagues de sécheresse qui frappent l'Amazonie sont de plus en plus intenses et fréquentes. Elles détruisent un nombre croissant d'arbres qui, en se décomposant, libèrent de grosses quantités de dioxyde de carbone (CO2). Le processus d'assèchement multiplie aussi les feux de forêt, gros émetteurs de carbone.
Si ces épisodes de sécheresse persistent au même rythme ou, ce qui est probable, s'ils s'accélèrent en liaison avec le réchauffement planétaire, la forêt amazonienne émettra plus de carbone qu'elle n'en captera. Elle ne sera plus un " poumon " précieux, où la jungle fixait massivement le C02 atmosphérique grâce à la photosynthèse. Au lieu d'être un puits de carbone, elle deviendra une source de carbone.
L'étude publiée par Science, à partir de modèles construits sur des observations satellite, compare les deux plus récentes grandes sécheresses, en 2005 et 2010. La première, par son ampleur, fut baptisée " sécheresse du siècle " en Amazonie. Or, la seconde, seulement cinq ans plus tard, fut encore plus forte.
La sécheresse de 2005 a affecté 1,9 million de km2 ; celle de 2010, 3 millions de km2. Les calculs du déficit hydrique - lequel favorise ou entraîne la mortalité des arbres - aboutissent à ce pronostic d'aggravation du phénomène. En 2005, 37 % de la superficie totale observée de l'Amazonie - 5,3 millions de km2 - a souffert d'un manque de pluies ; en 2010, 57 %.
En 2005, le phénomène comportait trois épicentres : le sud-ouest de l'Amazonie, le nord et le centre de la Bolivie, l'Etat brésilien du Mato Grosso. En 2010, un seul épicentre : le sud-ouest de l'Amazonie. Les deux sécheresses sont survenues dans un même contexte climatique régional : une température des eaux à la surface de l'océan Atlantique supérieure à la moyenne.
En s'appuyant sur les corrélations connues entre sécheresse et mortalité des arbres, les auteurs de l'étude prédisent l'impact nocif de celle de 2010 : non seulement la forêt ne pourra plus capter son milliard et demi de tonnes de C02 habituel, mais les arbres morts, en pourrissant, dégageront 5 milliards de tonnes de C02 au cours des prochaines années. En comparaison, les Etats-Unis émettent annuellement 5,4 milliards de tonnes de C02 d'origine fossile.
Beaucoup d'incertitudes subsistent, notamment sur les volumes d'arbres tués par la sécheresse ou sur les réactions du sol. Elles exigent des relevés et des calculs plus approfondis. Mais la tendance, aux yeux des auteurs de l'article, ne fait pas de doute : elle est lourde et néfaste.
" Deux sécheresses extrêmes tous les dix ans peuvent suffire à neutraliser la captation de carbone, explique au Monde le professeur Simon Lewis, animateur de cette équipe. Si ces phénomènes se révélaient encore plus fréquents, la plus grande forêt primaire de la planète deviendrait une source importante de gaz à effet de serre. Ce serait très inquiétant. Hélas, nos modèles laissent présager un avenir sombre pour l'Amazonie. "
Les feux de forêt sont de plus en plus fréquents. Pour l'Américain Daniel Nepstad, l'un des coauteurs de l'étude, la moitié de la couverture forestière du bassin amazonien est en passe de ne plus recevoir assez d'eau pour affronter de futures saisons très sèches.
En 2010, l'Amazone, le fleuve au plus gros débit du monde, a atteint son niveau le plus bas depuis 1963. Cette baisse prolonge une tendance constatée depuis 1999. Une évolution aggravée par le réchauffement climatique planétaire : " En Amazonie, prévient Simon Lewis, la température pourrait augmenter d'au moins 6 degrés Celsius d'ici à la fin du XXIe siècle. "
Gaz à effet de serre, sécheresses, destruction d'arbres, incendies, émissions accrues de carbone intensifiant l'effet de serre et le réchauffement climatique : l'Amazonie est le lieu d'un cycle infernal qui risque de réduire à néant les indéniables progrès accomplis par le Brésil en matière de lutte contre la déforestation, grâce notamment à une meilleure surveillance par satellite et à une répression accrue contre les déboiseurs illégaux.
Jean-Pierre Langellier
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