Le déséquilibre des échanges commerciaux avec la Chine provoque des tensions aux Etats-Unis
Le déficit commercial américain a atteint, en 2005, le niveau record de 726 milliards de dollars (606,7 milliards d'euros). La Chine est désignée comme le principal responsable de ce solde négatif. Elle a en effet dégagé avec les Etats-Unis l'excédent commercial le plus important de l'histoire entre deux pays : 202 milliards de dollars.
Parlementaires, syndicats, groupes industriels ou commentateurs américains accusent Pékin de fausser les règles du commerce international, de précipiter les délocalisations et d'avoir causé la perte de 3 millions d'emplois aux Etats-Unis depuis quatre ans.
Pour une majorité de membres du Congrès, la volonté chinoise de maintenir artificiellement faible sa monnaie tout comme le refus de respecter la propriété intellectuelle, et plus généralement les règles internationales du commerce, constituent une menace.
Le 21 juillet 2005, la Chine avait cédé aux pressions et fini par réévaluer de 2 % sa devise, le yuan, face au dollar pour la première fois en dix ans, lui permettant de flotter contre un panier de monnaies, plutôt que d'être liée de façon rigide au billet vert.
Cette décision est cependant considérée comme insuffisante, sans conséquence sur le commerce international et même comme une manoeuvre. "Notre patience ne va pas durer indéfiniment", prévient Myron Brilliant, vice-président pour l'Asie de la Chambre de commerce américaine.
La Chine alimente, à tort ou à raison, de nombreux fantasmes à Washington. Elle est la seule puissance capable, dans les prochaines décennies, de rivaliser avec les Etats-Unis. Des experts militaires s'inquiètent du développement de son armée et les défenseurs des libertés pointent son mépris pour les droits de l'homme.
Il y a huit mois, l'annonce d'une offre publique d'achat (OPA) hostile du groupe public Cnooc (China National Offshore Oil Company) sur la septième compagnie pétrolière américaine, Unocal, avait soulevé un tollé. C'est finalement l'américain ChevronTexaco qui a acquis Unocal.
Les initiatives et projets de loi protectionnistes visant les produits chinois se multiplient au Congrès. Un groupe de représentants démocrates veut créer un bureau de contrôle du commerce permettant aux parlementaires de poursuivre devant les tribunaux, sans l'aval de l'administration, les pays accusés de fausser la compétition internationale. Au Sénat, le démocrate Byron Dorgan et le républicain Lindsey Graham veulent réexaminer tous les ans le statut de "partenaire commercial normal" accordé à la Chine en 2000.
Cela irait à l'encontre des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), tout comme la proposition du même sénateur Graham et du démocrate Charles Schumer d'imposer un droit de douane de 27,5 % sur les importations chinoises jusqu'à ce que Pékin réévalue sa devise.
Face à cette déferlante, la stratégie de l'administration Bush semble être de tenir des propos durs, de menacer Pékin et, dans le même temps, d'essayer d'empêcher le Congrès de prendre des mesures trop radicales.
Le représentant au commerce, Robert Portman, a rendu public, la semaine dernière, un document de 29 pages sur le commerce chinois. Il souligne que le marché américain compte pour 22 % "de la croissance phénoménale des exportations chinoises depuis vingt ans", qui représentent aujourd'hui 40 % de l'économie du pays et ont permis de sortir 400 millions de personnes de la misère.
Il met aussi en garde : "Notre relation bilatérale avec la Chine manque aujourd'hui d'équité, de solidité et d'équilibre dans les opportunités qu'elle offre" et les "Etats-Unis utiliseront toutes les options possibles" pour mettre fin à cette situation. "Les Etats-Unis, ajoute-t-il, doivent maintenant changer de politique et traiter la Chine comme un partenaire mature, responsable de ses actions. Le pays doit ouvrir plus ses marchés aux importations, s'en prendre au piratage des films et des logiciels et réduire les subventions à l'exportation."
M. Portman a proposé la création d'un détachement spécial ("task force") sur la Chine au sein de sa propre administration. L'initiative est sans précédent. Mais sur le fond, le rapport de M. Portman est plus nuancé que la présentation qui en est faite.
Il souligne que de nombreuses entreprises américaines développent rapidement leur activité en Chine. "Il ne faut pas ignorer les aspects positifs de la relation", souligne John Frisbie, président du US-China Business Council, un groupe qui représente les intérêts des entreprises américaines présentes en Chine. Pour M. Portman, il faut surtout amener Pékin à se comporter en "partenaire".
Robert Zoellick, secrétaire d'Etat adjoint, détaillait, dans un discours en septembre 2005, cette ambition de la diplomatie américaine : "Il est temps d'encourager Pékin à être plus impliqué dans la communauté internationale et pas seulement un membre du Conseil de sécurité de l'ONU et de l'Organisation mondiale du commerce. Il est temps d'encourager la Chine à devenir un membre responsable du système."
Il n'est pas sûr que les parlementaires américains et leurs électeurs aient la patience d'attendre.
Leser Eric
Le Monde
21 fevrier 2006